vendredi 8 mai 2015

Les rôlistes sont-ils de grands enfants ?

Il y a un mois, en parcourant le 20 minutes pendant la pause café, je suis tombée sur cet article : "Smartphone «doudou», Nutella et accro aux séries télé... Les adultes sont-ils restés des enfants ?". Pour résumer l'article, les adultes d'aujourd'hui auraient peur de l'avenir, et cela se traduirait par leur goût pour des activités d'adolescents. Là où je me suis payée une bonne tranche de rire, c'est dans les exemples des activités "adolescentes" : regarder des séries, jouer aux jeux vidéos, lire Harry Potter ou se déguiser pour une soirée... Visiblement, la journaliste ou les auteurs cités semblent ignorer que les adultes d'autrefois s'adonnaient également aux jeux (belote, scrabble, dames...) et aux séries (le public de Derrick n'est pas réputé pour sa fraîcheur adolescente). Et bien entendu, les retraités d'aujourd'hui pratiquent également les jeux vidéos - j'ai des preuves sous forme d'invitations  Facebook !


Un masque pour enfant ?
Et si nous devrions avoir honte de lire Harry Potter à notre âge, devrions-nous également avoir honte de lire  Le petit Prince, L'enfant et la rivière ou Le grand Meaulnes ?


Concernant notre loisir préféré, le jeu de rôle papier, ou pour ses cousins, le jeu de rôles grandeur nature et le jeu de rôle en ligne massivement multijoueur, est-ce que ce sont des activités plutôt pour les adolescents, ou bien ont-elles une place légitime dans notre monde adulte ? Jouer sérieusement aux chevaliers avec ses enfants nous dépeint-il comme moins matures que notre voisin qui monte une équipe de football avec ses marmots, ou bien cela ne reflète-t-il qu'une différence de culture et de goût ?

Un "adulescent" ?
Le principe du jeu de rôle est de raconter une histoire de manière interactive. Même si aujourd'hui le conte, activité la plus proche du jeu de rôle papier, est associé à l'enfance (probablement à tort), cela n'a pas toujours été le cas. Quant aux histoires, il est difficile de leur échapper pour un adulte aujourd'hui : cinéma, littérature, récits de diverses anecdotes à la machine à café, journal de 13h ou politique, rares sont ceux qui ne s'en délectent pas au moins par l'un de ces médias. La particularité de notre loisir repose sur l'interactivité, puisque l'on crée l'histoire au lieu de la subir passivement. Mais ce n'est en rien une raison pour en faire une activité plus infantile. Certes les enfants créent des histoires (et ils sont même doués pour ça), mais c'est également le cas des romanciers.

La pratique du jeu de rôle est un atout pour un adulte, dans la vie professionnelle d'aujourd'hui. En effet, la créativité est une compétence particulièrement recherchée, c'est ce qui aide les entreprises à s'adapter rapidement et à innover dans un monde changeant de plus en plus rapidement. Contrairement à ce que peuvent croire les non-informaticiens, produire un logiciel est de l'artisanat, il faut constamment inventer de nouvelles solutions à nos problèmes, et c'est un secteur qui compte beaucoup d'emplois. On trouve des listes d'astuces pour stimuler sa créativité, si le jeu de rôle n'est pas cité, c'en est pourtant un excellent !

Réunion de travail ou séance de jdr ?
Une autre compétence qui devient plus demandée dans la sphère professionnelle, maintenant que l'on commence à réaliser tous les bienfaits de la coopération par rapport à la compétition pour l'efficacité d'une entreprise, c'est l'empathie. Pour les managers, savoir faire preuve d'empathie est un atout de taille pour faire travailler les gens en équipe. Le jeu de rôle est également un bon moyen de développer son empathie, en se mettant dans la peau de personnages différents de soi et en tentant de deviner ce qu'ils ressentent dans les épreuves qu'ils traversent. Et le JDR est évidemment un excellent entraînement pour le travail en équipe, comme tous les jeux coopératifs !

La pratique intensive du jeu de rôle nous oblige à un apprentissage constant : de nouvelles règles, des univers inconnus. Le jour où nous devrons suivre une formation professionnelle (car de nos jours l'école non plus n'est pas que pour les enfants), nous serons plus préparés que notre voisin footeux - mais plus obèses à force de manger des pizzas et boire du coca ! Oui, moi aussi je sais faire dans le cliché éculé, cette compétence n'est pas réservée aux journalistes et aux psychiatres.

Un autre point à souligner, c'est que si la plupart des rôlistes trentenaires ont commencé le jeu de rôle pendant leur adolescence (avant Mireille Dumas), ils ne le pratiquent généralement plus comme ils le faisaient à l'époque. Les histoires ont évolué, pris de la maturité, les personnages sont plus fouillés, le jeu théâtral est souvent également plus présent.

Enfin, évoquons le cousin du jeu de rôle sur table, le grandeur nature, communément appelé GN. Le jeu naturel et non cadré des enfants, sous la forme du "on dirait que je serais un cow-boy et toi un indien" est assez proche dans l'esprit du GN. Il existe d'ailleurs des GN pour les enfants, souvent au sein de centres de loisirs. Mais à ma connaissance, ces jeux sont assez différents de ceux des adultes : soit ils sont très cadrés, se rapprochant d'un jeu de piste costumé et scénarisé, soit ils sont bien plus libres, n'offrant que le décor et les costumes et laissant les enfants choisir leur propre rôle et improviser le scénario.

Participants à un GN
Participer à un GN classique demande un minimum de maturité pour tenir son rôle sur du long terme. Cela nécessite également un minimum de ressources financières : en plus de payer l'inscription, il faut avoir un costume, des accessoires... Les fabriquer demande également du matériel et du savoir-faire. De plus, les sites de GN ne sont pas toujours accessibles par les transports en commun. Ainsi, même quand le GN n'est pas interdit aux moins de 18 ans (pour des questions d'assurance), on y trouve assez rarement des adolescents.

Personnellement, je me revois adolescente, toute timorée et soucieuse de mon image, comme le sont généralement les collégiens. Non seulement je n'aurais sans doute pas osé faire quoi que ce soit en GN, entourée d'adultes sûrs d'eux, mais en plus, je m'imagine mal raconter à mes amis que j'ai passé le week-end déguisée à jouer comme une enfant.

C'est sur ce point que je conclurai cet article. Il existe un passage, au moment de l'adolescence, où l'on a besoin de montrer que l'on est un grand, en cessant d'avoir des comportements considérés comme enfantins, du moins en public. On n'ose plus aller à une soirée déguisée autrement qu'avec son costume de tous les jours, par exemple. Et puis cette période passe, un jour on réalise qu'on n'a plus besoin de faire semblant d'être un adulte, car on n'a plus de doute à ce sujet. Finalement,la personne de 30 ans qui refuse de s'amuser de peur d'avoir l'air d'un enfant, ne serait-elle pas encore un peu dans l'adolescence ?

Yoda

La bande dessinée du début de l'article est tirée de La confrérie du dé vain, avec l'aimable autorisation de son auteur.
La photo d'Albert Camus est de Robert Edwards, sous licence CC BY-SA 3
L'image de la réunion de travail est de Vousnous Design, sous licence CC BY-NC-ND
Les autres photos sont dans le domaine public.

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