lundi 3 août 2020

Chasse à l'homme - Enez Eusa

Si tu n'as pas lu les chapitres précédents et que tu veux comprendre de quoi il retourne, consulte la page du projet.

Une particularité du jeu Ars Magica est l'encouragement à faire tourner le rôle du meneur de jeu. Les premiers scénario étaient créés et menés par le joueur de Maël et du personnage introduit dans cette séance. C'était au tour de la joueuse d'Aelia et de Tudwal de mener. Le récit qui va suivre est écrit sous forme du journal, écrit par le joueur du personnage.

La Danse de la mariée en plein air - Brueghel l'Ancien

Extraits du journal de Maël Pesketaer

Mardi 23 juin de l'an de grâce 1220

L'île de Ouessant est en effervescence. Le seigneur Breval Eussaf a promis son fils, Mériadec, à une jeune noble de Cornouailles, Clothilde De Dollal. De nombreux invités venant du continent affluent sur notre caillou, et de nombreux artistes se sont déplacés de même. Je n'aime guère les fêtes mais il sera difficile de ne pas venir présenter nos hommages, l'alliance se doit de rester bien entendu discrète mais il est aussi de son devoir d'entretenir des relations convenables avec la noblesse et les vulgaires locaux. En réalité, deux fêtes seront organisées, l'une bien entendu au château, faisant honneur aux invités de marque qui auront fait ce trajet difficile, et une autre pour les habitants de Ouessant.

Alann nous apprend que la mariée pourrait être liée à Transformo, il nous dit aussi que celle-ci a un frère nommé Theobald. Alann est plutôt doué, pas forcément pour faire parler les gens mais plutôt pour être au bon moment et au bon endroit, qui s'avère souvent être une taverne. Nous en avons discuté avec Transformo mais visiblement le sujet de la famille semble être très délicat : il se refuse à discuter avec nous. Nous traînons malgré tout quelques temps dans le bourg. Je me sens un peu perdu au milieu des villageois, me cachant sous ma capuche je laisse mes pensées vagabonder, libérant mon esprit de mes recherches actuelles. Alann entend un peu plus parler de la famille de la mariée, il semble qu'elle ait un frère qui aurait été accusé de sorcellerie, de satanisme même…


Nous entreprenons d'en discuter une nouvelle fois avec Gatien,  alias Transformo, à l'Alliance, curieux d'en découvrir plus sur le jeune mage, toute information peut s'avérer utile un jour après tout. Il ne souhaite pas s'ouvrir mais je lui précise que ces histoires de satanisme pourraient être ébruitées et arriver aux oreilles des Quaesitores, ce qui nous poserait problème à tous.

L'histoire de Gatien n'est finalement pas facile à raconter pour lui. Y a-t-il une seule personne parmi nous qui ait vécu une enfance vraiment heureuse ? En substance, une des premières manifestations des pouvoirs de Gatien a été observée par un religieux, celui-ci ayant rapporté les faits à sa famille. Il s'est alors enfui. Évidemment, que pense sa famille actuellement de lui ? Il n'est sans doute pas ou plus un sujet de discussion au sein de sa famille, que se passera-t-il s'il resurgit dans leurs vies ? Je lui rappelle que c'est le mariage de sa sœur, un événement unique, il n'a pas l'air de comprendre où je veux en venir, sa sœur ne se mariera qu'une fois, il est de son devoir d'être à ses côtés, d'une manière ou d'une autre et comme Alann lui fait remarquer, il lui sera difficile de se cacher de sa sœur lorsqu'elle sera définitivement installée sur l'île. Il accepte de se rendre à la fête populaire, après tout… il sait se transformer non ?

Bertrand, qui nous avait menés à Hervianne maintenant à notre service en tant qu'intendante, arrive plus tard dans la journée. Il semble venir livrer du vin pour la fête, de bons profits pour lui j'imagine.

Mercredi 24 juin de l'an de grâce 1220

Aelia étant absente, c’est aux autres mages de trouver un présent pour les fiançailles, mêmes si c'est finalement un geste plus symbolique qu'autre chose mais cela marquera notre respect du seigneur local. Il est nécessaire de maintenir des relations cordiales avec lui, après tout nous sommes ici aussi parce qu'il l'accepte.

La fête de fiançailles aura lieu durant celle de la Saint-Jean, je n'aime pas l'idée de me mêler à la population, nous autres mages mettons mal à l'aise les gens en règle générale. Nous entreprenons la recherche d'un cadeau et finissons par dénicher quelque chose d'acceptable. Aelia absente, Transformo, Wido et moi même allons nous présenter à la fête et donner le présent de la part de Reditum.

Pieter Brueghel l'Ancien - Le repas de noce

Je m’apprêtais à écrire jeudi mais des événements inattendus sont survenus : nous avons croisé une jeune fille cherchant sa sœur, cela ne nous avait guère inquiétés mais nous trouvâmes quelques temps plus tard la sœur en question, affolée, sa robe déchirée. Elle s'est faite agresser, frappée au visage par un homme après avoir raccompagné son fiancé.

Les gens du coin se sont alors rapidement énervés, accusant un groupe d’étrangers. En raison de l'importance de l’événement, l'île héberge temporairement des étrangers, en particulier des maures, parfait catalyseur d'une haine ignare et populiste. Les ouessantins se sont mis dans la tête que c'est nécessairement eux qui ont accompli le forfait et s'empressent d'aller à leur campement pour « s'expliquer ».

Wido, Transformo et moi leur avons emboîté le pas, et découvert le campement des trois maures. Ces derniers essayent d'expliquer qu'ils étaient en train de dormir. Heureusement que Bertrand est là pour parler avec eux… mais ils parlent un peu anglais et la langue d'Oïl, ce qui s'avère compliqué… Tandis que le ton des ouessantins monte, nous voyons l'un des maures manipuler un objet au moment où les villageois semblent vouloir laisser leur colère s'exprimer. Alors les maures ont disparu purement et simplement, engendrant la panique la plus totale parmi les locaux. Un des paysans dit avoir vu un monstre, un démon, une créature. Un des maures avait tracé un cercle avant cette disparition et c'est au passage d'un paysan agressif au travers de ce cercle qu'ils ont disparus. Mes compagnons mages et moi sommes persuadés qu’il s’agit d’une illusion maintenant à nos yeux les maures à leur place tandis qu’ils s’enfuyaient.

Nous trouvons quelques traces mais difficile de les suivre au beau milieu de la nuit. Nous rentrons donc à l'alliance et réveillons Gregor, précédemment rentré, pour lui exposer les faits. Il est vital que nous retournions sur place aux premières lueurs du jour afin de voir de quoi il retourne. Il y a des gens qui pratiquent la magie ici, des étrangers à l'ordre d'Hermès sans doute, et ceux-ci auront des ennuis avec les ouessantins qu'ils croiseront. Il faudra aussi aller voir la jeune femme agressée, pour en savoir plus. Nous devons agir rapidement.

Notre discussion avec Grégor nous met d’accord sur le fait qu’il s’agit là d’un événement important qui doit être rapporté, cependant plusieurs d’entre nous mettent en valeur le fait qu’il ne faille rien précipiter : en effet nous manquons cruellement d’informations concrètes en cette heure, ce qui ne manquerait pas de nous décrédibiliser auprès du Quaesitor Armand Carrin. La missive attendra un peu, au moins jusqu’à demain soir. Je suis allé ensuite prévenir Louis, notre capitaine de la Turbula, il devra prévoir deux pisteurs demain à l’aube afin que nous puissions suivre les traces de ces étrangers, pendant ce temps Grégor se rendra auprès du seigneur Heussaf dans la matinée afin de savoir s’il connaît ou non ces personnes.

Jeudi 25 juin de l'an de grâce 1220

Aux aurores, Breval, Gaëlle, Alann, Nicolaz, Wido et moi retournons au campement des maures. Les traces permettent à Breval de comprendre que ceux-ci ont couru dans la lande mais qu’au bout d’un moment ils ont dû faire un quasi demi-tour, revenant vers le lieu des festivités manifestement.

Alann demande aux gens qui démontent les tables de la fête s’ils ont vu les fugitifs, mais malheureusement personne ne les a vus depuis la veille. Toutefois en interrogeant les artistes nous obtenons quelques menus témoignages : ces personnes semblaient rôder dans les parages, présentes au moment des auditions des ménestrels, regardant attentivement ceux-ci sans participer. Alann, soupçonnant qu’ils cherchent quelqu’un parlant anglais, entend parler d’Edward, le cuisinier d’outre-manche mais cette piste ne donne rien. Nous réussissons à glaner une information un peu utile : Gwenn habite Lampaul. Du coup Alann entreprend de passer la voir après le pêcheur qui a transporté les maures, tandis que nous continuons de voir avec les ménestrels encore présents dans l’espoir d’obtenir d’autres informations. Nous retrouvons d’ailleurs Bertrand et Grégor sortant du château. Ils nous annoncent que malheureusement le seigneur Heussaf n’a pas connaissance de ces étrangers présents sur son île. Le seul élément connu à leur sujet vient du souvenir de Bertrand que ces maures recherchaient des ménestrels, a priori un groupe ou un individu en particulier.

Avec cette précision, nous orientons mieux nos recherches et deux témoignages qui suivent concordent tous : ces trois individus sont à la recherche d’une personne précise, un homme, un ménestrel parlant anglais. Ils parlent un peu la langue d’Oïl et l’anglais, et bien entendu leur langue natale. D’après Bertrand, qui a interrogé un nain nommé Ronan, ces hommes cherchent un ménestrel anglais qui se nommerait “Le Lion de Bristol” tout en étant persuadés qu’il ne se présenterait pas sous ce nom.

Alann et Nikolaz se rendent au port pour interroger Jehan, le marin qui les a transportés. Pas grand chose de plus : l’un d’eux s’appelle Aziz, ils ne sont pas repassés pour partir sur l’embarcation. Alann s’interroge sur les pêcheurs qui pourraient manquer à l’appel, suspectant un départ forcé par les maures, mais rien de vraiment suspect, Louarn est parti pêcher seul tandis que la plupart des pêcheurs sont restés après la fête… mais cela n’a rien d’inhabituel chez celui-ci. Alann et son fils se rendent ensuite chez Gwenn et l’interrogent, Alann comprend rapidement le fin mot de l’histoire : elle n’a absolument pas été violentée par un des maures mais bel et bien par son fiancé, trop pressant.

Cette grande matinée fut finalement plus constructive que prévue, certes nous n’avons en aucun cas retrouvé les fugitifs mais nous savons pourquoi ils sont présents ici et nous savons aussi qu’ils n’ont rien fait de mal si ce n’est utiliser de la magie devant des vulgaires. C’est sur ce point que nous avons un devoir envers l’Ordre d’Hermès et devons faire de sorte qu’ils cessent leurs agissements. Je dois reconnaître mon excitation à l’idée d’échanger nos théories magiques, sont elles différentes ? Et quelle est la créature aperçue par un paysan ? Si c’est réellement un démon il s’agit là d’une affaire grave… mais comment en être sûr ? Et puis nous ne l’avons pas vue, ce qui n’aide en rien à l’identification.

Nous finissons par tous nous retrouver pour échanger. Il est temps d’effectuer des recherches sur toute l’île, quatre groupes sont ainsi composés d’un mage et plusieurs compagnons.

Alann, Gaëlle et moi nous rendons chez le fiancé au passage, je sens qu’Alann a envie de montrer à ce lâche qu’on ne violente pas sa promise parce qu’elle a refusée des avances bien trop pressantes. Je ne peux m’empêcher de me mettre mentalement à l’écart de tout cela, les relations des hommes et femmes me dépassent, d’autant plus que je ne pourrais jamais vivre une histoire d’amour sans penser à ce que mon père a vécu. La menace semble fonctionner, c’est le principal. Des excuses, un cadeau… est ce si simple en définitive ou leur relation est elle brisée ? En tout cas, Alann reprend la route en bougonnant, se trouvant trop gentil, ce gars aurait bien mérité d’être remis à sa place.

C’est le groupe de Wido, Bertrand et Bréval qui a retrouvé les maures. Ces derniers étaient camouflés magiquement, et se sont dévoilés car ils ont compris que nous ne leur voulions pas de mal. Bertrand leur a proposé une rencontre avec tous les membres de l'alliance dans un lieu neutre, une cabane non loin de là. Et c’est ainsi qu’un peu plus tard dans la journée, tous les membres d’importance de l’Alliance Reditum font la connaissance d’Aziz, Abdel et Ahmed.
"Les Rois mages" (2001), le film des Inconnus.

Rapidement nous les interrogeons sur leur magie et la raison de leur venue. Ils pratiquent un peu de magie mais moins par eux mêmes que par l’utilisation du “jnoun”, une créature qui leur obéit dans une certaine limite encore floue pour nous. Leur définition de la créature n’est d’ailleurs pas claire : ils ne disent pas que c’est un démon mais pas vraiment le contraire… la maîtrise de l’anglais ou de la langue d’Oïl nous fait défaut et les erreurs de traductions sont possibles. Mais il va falloir éclaircir ce point ! Pour l’instant nous leur laissons le bénéfice du doute mais c’est un sujet à creuser de manière urgente, nous ne devons pas être négligeants.

Les trois compères sont à la recherche d’un musicien anglais, et s’ils sont arrivés ici c’est que le “jnoun” leur a indiqué sa présence en Bretagne. Rien de précis mais une capacité magique certaine au travers de cette créature. Ils recherchent cet homme car il a tué leur “maman” ou plutôt leur “magicienne”. Ils nous disent qu’elle s’occupait des enfants des rues, qu’ils sachent ou non faire de la magie. Les maures nous le décrivent comme un homme de bonne taille, blond, difficile d'en comprendre plus à cause de la barrière de la langue. Il aurait tué la magicienne avec une épée, d’après eux c’était un soldat et aujourd’hui un ménestrel. Ils restent toutefois très flous sur la raison de cette mise à mort, la traduction peut être...

Plusieurs d’entre nous ont envie de proposer notre aide, cela peut s’avérer intéressant car cela prolongera la rencontre et nous permettra d’en apprendre plus sur leur magie et leur traque.

Avant toute chose je demande à voir la fameuse créature, si sa nature démoniaque vient à sauter aux yeux, il sera évident que non seulement nous ne pourrons leur apporter de l’aide, mais qu’en plus il faudra neutraliser ces démonistes. Leur refus catégorique d’y faire appel, car elle est d’après eux dangereuse, me laisse penser deux choses : la première c’est que la nature de cette créature n’est probablement pas régie par les lois de Dieu, cela n’en fait pas un démon nécessairement, mais c’est malheureusement très loin de l’exclure, la deuxième c’est le fait qu’ils craignent de faire appel à elle, et d’après ce que nous comprenons leurs connaissances sont de loin limitées comparativement à la magicienne assassinée.

Nous avons donc là trois personnes qui utilisent les services d’une créature possiblement démoniaque dont le contrôle pourrait leur échapper. Il ne faut pas lâcher ces personnes et creuser tout ceci tout en signalant au Quaesitor Carrin cette situation.

En discutant, avec difficulté, avec eux, nous apprenons que la créature vient de “là bas”, ce lieu serait quelque chose ressemblant à une alliance de magiciens à Damiette. Comme nous faisons les yeux ronds à l’évocation de cette ville, Bertrand nous précise qu’il s’agit d’une cité en Terre Sainte. Une croisade a lieu là bas actuellement. Je m’étais persuadé que ces trois hommes venaient d’Espagne, mais en réalité ils avaient fait un trajet impressionnant. En tout cas, cet anglais devait être un combattant durant cette croisade et curieusement maintenant un barde.

C’est le “jnoun” qui les a guidé quand ils étaient à Damiette en leur signifiant un endroit en Bretagne. Il  leur avait montré l’anglais faisant de la musique et gagnant de l’argent dans une petite ville bretonne. C’est ainsi qu’ils ont entrepris ce voyage pour retrouver le criminel.

La journée commençant à tirer sur la fin, les autres magiciens et moi même nous sommes concertés pour savoir ce que nous devions faire dans l’immédiat. Certes nous allons les aider à retrouver l’anglais, mais aussi les avoir à l’oeil. Malheureusement il nous semble difficile de les garder dans cette cabane. Nous risquerions de revoir son propriétaire accompagné de curieux malodorants et passablement imbibés d’alcool. Nous avons parlé longuement, cherchant la discrétion avant tout pour au final aboutir à une solution simple : les déguiser en servants de notre alliance à la recherche des maures en compagnie de vrais servants et de deux mages. Cela a quelque chose d’ironique et puis c’est parfois en étant visible qu’on se cache le mieux. Mais comme nous ne souhaitons pas les voir pénétrer dans notre alliance, nous décidons de les mener au navire de Bertrand pour y passer la nuit et partir rapidement demain matin.

Une fois sur le pont et les maures installés dans la cale, nous décidons ensemble de la composition du groupe qui sera chargé de les accompagner : Wido, Grégor, Bertrand, moi-même serons de la partie et nous prenons les dispositions nécessaires pour que quatre servants soient présents au départ du lendemain.

J’estime qu’il nous faut les surveiller en utilisant notre magie durant la nuit, me proposant pour le faire mais après discussion avec Wido et Grégor il s’avère que Grégor est sans doute la personne la plus compétente pour cela : il reste donc avec un servant sur le pont afin de les surveiller par magie. Il ne remarque aucune activité magique durant la nuit mais plutôt quelques ronflements vulgaires.

Vendredi 26 juin de l'an de grâce 1220

La traversée se déroule sans problème, le navire est certes chargé de nombreux passagers mais la manoeuvre n’est guère plus difficile qu’avec un chargement de marchandises, de plus le temps est convenable. Nous nous dirigeons vers Brest en compagnie d’autres petits navires amenant quelques uns des ménestrels présents sur Ouessant sur le continent.

Une fois arrivés à Brest nous entreprenons de discuter avec ceux-ci ainsi qu’avec quelques Brestois : aucune grande fête n’est à prévoir dans l’immédiat. Il nous faut maintenant procéder avec méthode, ouvrir grand le filet afin d’avoir une chance d’attraper notre poisson. Nous formons deux groupes et décidons d’arpenter la cité, d’aller voir dans les repaires où des ménestrels peuvent traîner, étonnamment des lieux où le vin coule à flot.

Bertrand m’accompagne et nous entendons parler d’un musicien nommé John mais sans obtenir d’information plus précieuse si ce n’est qu’à priori il devrait, sans doute, toujours être en Bretagne. Grégor et Wido se montrent plus efficaces, entendant parler du même John qui aurait fait le choix de ne pas aller à Ouessant au profit d’un séjour à Ploudaniel une ville du nord du Léon, un peu au sud de Lesneven. Voilà une piste à suivre, intéressante… et la seule.

Notre destination sera donc Ploudaniel, en attendant nous nous installons pour la nuit à Brest.

Samedi 27 juin de l'an de grâce 1220

Le trajet prenant toute la journée, Wido, Grégor et moi essayons de comprendre un peu mieux la nature de la magie que ces étrangers utilisent. Ils avaient tracé un cercle pour utiliser leur illusion qui leur a permis de s’enfuir. Ainsi il semble que la créature, grâce à un rituel leur échappant, soit enfermée et liée à un objet (une lampe ici) puis contenue prisonnière une fois libérée de l’objet grâce à un cercle utilisant un sable spécial. C’est justement leur problème essentiel : s’ils ne veulent pas faire de démonstration c’est bien parce que ce sable est en quantité limitée. L’utilisation du “jnoun” est un rituel qui leur a été enseigné dans une “maison”, une alliance en pratique ou ce qui s’en rapproche là bas.

Faire appel à la créature ne leur semble pas contraire à la volonté divine, le terme démon ne correspond pas exactement à la nature de la créature d’après eux.

Arrivant finalement à Ploudaniel, nous ne pouvons que constater la petitesse du village, étonnant d’avoir été dans un trou perdu plutôt que d’aller à la grande fête de Ouessant. Nous questionnons les habitants au sujet de John et apprenons qu’il est partit il y a deux semaines au Traoun-Guevroc, un lieu où Saint-Guevroc a séjourné, situé en forêt. L’anglais serait allé prier là bas mais n’est pas revenu depuis. Envisageant d’y aller malgré l’heure tardive de la journée, nous prêtons attention aux propos des villageois concernant une bête qui rôde dans la forêt, celle-ci a dévoré un berger il y a une semaine de cela. Les villageois semblent effrayés par cette créature qui rôde la nuit dans les bois.
Image by Marjon Besteman-Horn from Pixabay

Dimanche 28 juin de l'an de grâce 1220

Après avoir passé la nuit dans une grange sentant un peu fort, nous nous engageons dans la forêt de la créature, avec un guide bien content de gagner sa journée. Wido semble être particulièrement à son aise ici, cela n’a rien d’étonnant, il retrouve bien plus la sensation d’être dans les grandes forêts du grand Est que sur Ouessant. La bruyère et quelques maigres arbustes doivent lui sembler bien peu de chose par rapport aux grandes forêts.

En arrivant sur les lieux, situés dans une vallée, nous cherchons des traces près de deux petits bâtiments. Quelques reliefs de repas, un feu a été fait ici, rien qui ne soit vraiment très récent en définitive. Quelqu’un est bien venu ici, mais il y a plusieurs jours voir plus d’une semaine qu’il est parti.

Lesneven est du coup une destination à privilégier, c’est une grande ville, plus que Brest et plus intéressante potentiellement pour un ménestrel fauché (je doute qu’il ait fait fortune à Ploudaniel). Ce n’est vraiment pas loin d’ici et c’est une meilleure destination que de revenir à Ploudaniel.

Nous y arrivons en début de soirée et demandons les nouvelles aux premiers habitants que nous rencontrons. Eux aussi nous parlent de la bête qui rôde dans les bois que nous venions de traverser. Une femme se serait fait attaquer en plein jour, mais pour autant personne n’est capable de nous décrire la créature.

Comme cela avait bien marché à Brest, nous décidons de former trois groupes, un mage et un maure présents dans chacun ainsi qu’un ou deux de nos soldats. Les premiers à avoir aperçu l’anglais sont Aziz et Wido. Dans une taverne ils ont vu l’anglais jouer et gagner de l’argent, et Wido tente de s’entretenir avec lui. Aziz semble serrer les dents tandis que Wido parle dans un Breton articulé avec difficulté. Quelque chose cloche, Wido le voit dans l’oeil du ménestrel qui a contemplé quelques secondes Aziz sans dire mot tout en écoutant Wido. L’offre est poliment déclinée, l’homme s’engageant tranquillement vers la sortie de la taverne en prenant son sac et sa guiterne, en réalité John a certainement vu là un danger.

Par la suite s’est joué un jeu du chat et de la souris, Wido ayant tenté de suivre John tout en demandant à Aziz de rester là avec un servant, s’inquiétant d’un débordement. Nous apprendrons plus tard qu’Aziz put aisément sortir de l’auberge. Le servant, n’ayant pas su le retenir est ensuite resté à l’intérieur. Après avoir perdu la trace du musicien, Wido me retrouve et nous discutons sans informer Abdel qui m’accompagne.

Wido et moi avons transformé nos yeux temporairement en yeux de chat, afin de voir facilement dans la pénombre. Le problème de cette transformation est qu’elle nous interdit de nous montrer en public. Mes yeux normaux ont tendance à mettre mal à l’aise les gens, mais sous cette forme c’est bien pire.

Grégor nous rejoint et nous finissons par retrouver, puis acculer l’homme qui a dégainé un couteau. Il nous regarde droit dans les yeux, serrant la mâchoire. Rien dans ce regard ne laisse penser qu’il va se laisser faire, mais plutôt qu’il emmènera un maximum de gens dans la tombe avec lui si on l’agresse.

S’en suit une conversation étrange, John prenant les devant en nous ordonnant de dévoiler nos intentions tout en regardant les maures avec la plus grande méfiance. Nous lui expliquons pourquoi nous le recherchons : le meurtre de cette femme à Damiette. Il semble surpris puis nous explique qu’il ne s’agit pas d’un meurtre, elle est morte durant l’assaut sur Damiette ce que Grégor voit comme un “fait de guerre”. Commençant à parler entre mages en latin, pour que Wido comprenne mais aussi pour que notre conversation reste privée, nous avons eu la surprise de voir l’anglais se mêler de celle-ci dans cette langue. La situation semblant leur échapper, les maures commencent à discuter entre eux dans leur langue, et visiblement l’anglais prête attention à leurs propos. Finalement nous décidons de ne pas livrer l’anglais à une vengeance non légitime et les maures décident de partir, dégoûtés de la situation. Wido fait part de son inquiétude quand à une possibilité que les maures lâchent leur créature pour avoir justice quitte à périr dans leur acte.

Nous voici face à cet homme qui me dévisage ainsi que Wido. Je réalise que… nos yeux ont l’aspect de ceux des chats. Quelle bêtise, ma Doué ! Essayant de trouver un moyen de pouvoir s’entretenir au calme avec John, nous lui proposons de se joindre à nous à l’auberge. John accepte avec un peu de réticence de nous suivre mais semble inquiet vis à vis des maures. En discutant un peu nous réalisons qu’il sait certaines choses sur les “jnouns”. Il laisse d’ailleurs échapper une question intrigante : il souhaite savoir si la créature était enflammée. Nous y répondons par la négative, le soulageant un peu. Enflammée ? D’autres créatures similaires seraient enflammées ? Un monde entier s’ouvre à nous…

Arrivés à l’auberge des Trois Croix, nous apprenons de notre grassouillet aubergiste que nos “camarades” maures sont revenus et sont allés dormir dans leur chambre. John semble très ennuyé par cette situation et prend congés de nous. Il accepte de nous dire qu’il se rend à l’auberge du Coin des Braises Rouges. Par précaution, Grégor s’assure de la présence des maures dans leur chambre. Pour ce faire il détecte l’aura magique de la lampe contenant la créature.

Tandis que nous nous étudions les possibilités s’offrant à nous, Grégor arrive et nous annonce qu’il n’a pu approcher le corps afin de questionner l’âme du défunt sur les conditions de son trépas. Dans l’immédiat, le mieux que nous trouvons à faire reste de questionner d’autres paysans. Recueillir leurs témoignages relèvera peut être un élément majeur.
La plupart de ces braves gens nous orientent vers le lieu “béni par Saint-Guevroc”. Je suis très sceptique sur le fait qu’il puisse y avoir une relation, mais il ne faut jamais se fier aux apparences, c’est bien un élément clé de notre apprentissage après tout. De toutes façons, cela veut dire qu’il faut s’enfoncer en forêt pour s’y rendre tout autant que pour trouver des traces de la créature. Nous remarquons toutefois un point qui est certainement d’importance : la plupart des attaques sont portées au nord de la forêt.

Ce n’a guère été surprenant de trouver l’anglais sur la route de la forêt menant au sud, John semble chercher des traces et des témoignages concernant la créature. Nous discutons quelques instants avec lui : il souhaite simplement aider les paysans à lutter contre le fléau et la peur qu’engendre cette chose, mais il ne s’est pas enfoncé dans la forêt à la recherche de la créature, il n’est armé que d’un couteau et a des gens a ses trousses. Il se montre intéressé à l’idée de nous accompagner jusqu’au lieu saint, il est vrai qu’il y a séjourné il y a peu. Le trajet n’est guère long, et aucun élément intéressant n’a été trouvé : Grégor ne détecte rien de particulier du point de vue magique, nos sens exacerbés par les pouvoirs de Wido ne détectent rien de notable, pas plus que ma capacité à repérer ces déformations de la réalité, comme celles qui cachent des passages ou des êtres mystiques. Nous décidons de dormir ici pour la nuit, après tout nous formons un grand groupe, donc plutôt en sécurité.

C’est l’occasion de discuter un peu plus longuement avec John. Wido lui explique les grands principes de la magie et de l’Ordre d’Hermès ce qui ne manque pas l’anglais de lever des questions métaphysiques concernant la place de la magie dans le grand dessein de Dieu. Wido et Grégor essayent d’expliquer que la magie est en quelque sorte “neutre” mais cela semble avoir plutôt un effet étrange sur John : il semble perdu et s’inquiète que les mages puissent se considérer comme non soumis aux règles divines et de l'Église. Tudwal aurait été bien utile ici. Nous arrachons quelques informations sur John, en tout cas cela nous permet un peu de détourner le sujet : sa mère est bretonne mais vit en Angleterre, c’est pour cela qu’il connaît notre langue et de nombreuses chansons et histoires. Wido s’ouvre un peu durant la soirée, parlant un peu de son maître. Durant la soirée, Bertrand pense avoir vu une ombre se déplaçant dans les bois mais nous n’avons rien trouvé, l’ambiance est un peu crispée, chacun étant sur le qui vive, à l'affût du moindre bruit, du moindre mouvement dans les ténèbres. La nuit se finira sur des grognements de fatigue et de maux de dos : personne n’a dormi à poings fermés.


Mardi 30 juin de l'an de grâce 1220

Wido lance un sort sur notre groupe, maintenant aussi bien sa magie pour amplifier notre perception en forêt que masquant les traces de notre passage. Il est manifeste qu’il est ici dans son milieu naturel, à l’aise, l’esprit vif malgré la nuit passée. Si je ne me sens réellement bien qu’avec le vent et l'embruns  fouettant mon visage, Wido trouve sa place au sein de la végétation.

Nous mettons au point un plan pour traquer la créature : partir vers le centre de la forêt puis remonter vers le nord, en direction des attaques, car nous supposons que la créature doit se terrer sur la partie nord de la forêt. Notre trajet, à partir du centre, n’est pas en ligne droite, nous partons un peu vers l’est puis l’ouest et ainsi de suite en remontant. Nous tombons alors sur une clairière quelque peu étrange, formant un cercle parfait au centre duquel un arbre majestueux et creux se trouve. Je ne perçoit pas de regio en ce lieu, mais une forme de magie féerique ne fait aucun doute. Des champignons poussent dans l’arbre en question et nous finissons par comprendre quelque chose d’essentiel : l’arbre doit générer du vis muto, manifesté par ces champignons… et une créature s’en est peut être nourrie, provoquant peut être une mutation de celle-ci.


Notant mentalement l’emplacement de la clairière, nous continuons vers le nord et tombons sur une patrouille d’une quinzaine de soldats, eux aussi à la recherche de la créature. Après avoir un peu discuté avec eux, nous proposons d’unir nos forces pour la trouver, sans pour autant dévoiler ce que nous sommes. On sent de la méfiance chez ces hommes.

C’est Grégor qui trouve la créature : un lapin d’une blancheur absolue tente de lui sauter à la gorge, manquant l’égorger. Un lapin… écrire ce mot me laisse songeur… cette petite chose terrorise et tue des gens. A nous tous nous avons tué rapidement le prédateur aux grandes oreilles. Officiellement la créature est toujours dans les environs, les soldats n’ayant vu qu’un lapin, certes bizarre, mais au moins les gens du coin n’auront plus rien à craindre.

Le point important est que nous venons de trouver une source de vis muto ! Reste à savoir si nous pouvons l’exploiter et à quelle fréquence. Le mieux sera de s’assurer qu’aucun animal ne revienne manger ce qui pousse dans l’arbre pour que nous puissions collecter le vis et assurer en même temps la sécurité dans les environs.

L'arbre à champignons mutagènes m'a été inspirée par l'histoire de la commune de Le Folgoët, bâtie 138 ans après les événements décrits dans le récit que tu viens de lire. Comme quoi, l'Histoire est une source d'inspiration inépuisable. Le cinéma et les contes aussi.

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