[Nouvelle courte] Arachnophobie

Myriam éteignit sa radio d'un coup sec. Après les informations venaient toujours les publicités. Elle raterait la météo, mais cela n'avait guère d'importance. Un simple regard par la fenêtre lui suffisait pour savoir que le parapluie serait nécessaire, aujourd'hui. Myriam termina son café en pensant à la la dernière annonce. Une nouvelle victime des araignées venait de mourir. Il s'agissait de la petite fille touchée en début de semaine, elle était décédée à l'hôpital pendant la nuit. Il n'y avait eu pour l'instant que quelques morts, cette enfant et des personnes âgées, mais le pire était à prévoir. Avec le froid, les araignées se réfugiaient à l'abri. C'est dans les voitures qu'elles étaient les plus dangereuses, car les habitacles regorgeaient de cachettes pour elles. On était coincé à l'intérieur, sanglé par sa ceinture, la voiture roulant déjà à bonne allure, quand une araignée surgissait de nulle part et nous prenait par surprise.


Myriam passa sa tasse de café vide sous l'eau avant de la placer dans le lave-vaisselle, puis prit la direction de la salle de bain. Dans le couloir, elle se figea. Une araignée énorme était immobile sur le plafond. Myriam songea bien à l'ignorer avant d'abandonner bien vite cette idée. L'arachnide était visible à l'instant présent. S'il ne l'était plus le soir, cela ne signifierait en rien qu'il avait quitté la maison, mais simplement qu'il était caché quelque part. De toutes façons, Myriam se sentait incapable de gagner sa salle de bain avec cette menace suspendue au plafond telle une épée de Damoclès. Et si, en passant dessous, l'araignée venait à tomber sur elle ?

Tout en regrettant de ne pas avoir de bombe insecticide, Myriam empoigna un balai. Elle s'approcha, arme levée, puis se ravisa. Sa première stratégie était risquée. Si son premier coup n'était pas mortel, la bestiole pouvait tomber bien vivante, et l'humaine serait sur la trajectoire. La femme retourna dans la cuisine et en ramena une chaise. Il s'agissait d'une chaise pliante, peu onéreuse et à bas prix, mais manquant furieusement de stabilité. S'assurant de bien caler ses pieds au milieu, elle grimpa dessus. De là-haut, elle pourrait profiter de l'allonge offerte par son arme improvisée. Tandis qu'elle ajustait soigneusement la position de son balai pour le faire remonter rapidement d'un coup sec, elle observa son ennemi. L'arachnide était parfaitement immobile, probablement ignorant du danger qui arrivait par le bas. Il n'était pas si noir qu'il ne le paraissait de loin. Son corps était plutôt brun avec d'élégants motifs noirs. Subitement, l'araignée avança. Poussant un cri, Myriam fit un pas en arrière. Son pied rencontra le vide. Elle tomba lourdement sur le dos.

Probablement effrayée par le vacarme, l'araignée fit demi-tour et fila de toute la vitesse donnée par ses huit pattes à l'autre bout du couloir. Une fois le danger écarté, Myriam tenta de se relever, en vain. Une douleur aigüe lui vrillait le bas du dos. Affolée, elle se rappela avoir laissé son téléphone sur la table de la cuisine, hors de sa portée. Impossible d'appeler les urgences. Combien de temps devrait-elle rester allongé sur le sol, à attendre que quelqu'un s'inquiète de son absence ?

Myriam repensa au bulletin d'informations du matin. Son sort restait plus enviable que celui de la petite fille, fauchée sur le trottoir par un automobiliste ayant fait un écart. Une araignée l'avait effrayé tandis qu'il conduisait. Les biologistes attestaient que les tégénaires géantes qui proliféraient cette année étaient parfaitement inoffensives pour l'homme. Leur esprit scientifique ne prenait en compte que l'absence d'agressivité de ces animaux, perdant de vue la psychologie humaine. Ces grosses araignées velues ne tuaient pas directement. Ce qui tuait, c'était l'arachnophobie.

Yoda

Pour information, les tégénaires géantes (Eratigena duellica) existent vraiment, ce sont de grosses araignées velues qui font peur, mais qui sont totalement inoffensives. Pour les nantais parmi mes lecteurs, je signale l'exposition Au fil des araignées au Museum d'histoire naturelle jusqu'au 7 janvier prochain.

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