mardi 6 décembre 2016

Mener sa première partie - la séance (3/6)

C'est le jour J et l'instant I ! Après avoir préparé la séance et créé les personnages, Camille est face à ses joueurs. Devant elle, caché par une feuille pliée en deux (elle n'a pas encore acheté d'écran), se trouve son scénario, une version légèrement modifiée des jupons de la mer. Chaque joueur est pourvu de sa fiche de personnage et d'un dé. Zoé, la joueuse de Zohra, est au courant de la particularité de son rôle. Il est temps de commencer !

By Diacritica (Own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons
« Julie, Luc et Marc, vous avez été pris dans une tempête il y a quelques jours. Votre navire a fait naufrage. Vous vous êtes accrochés à ce que vous pouviez, des tonneaux, des planches... Une fois le calme revenu, vous avez vu un navire venir vers vous. Manque de chance, c'était une frégate du gouverneur. Une fois au sec, on vous a mis direct aux fers parce qu'on vous soupçonnait d'être des pirates. Vous êtes donc dans la cale, les mains attachés par une chaîne à un anneau, vous ne savez pas s'il y a d'autres survivants de l'Albatros ivre, votre navire. On va faire un tour de table, décrivez vos personnages, ce que vous faites et votre prénom. On commence par Marc. »

C'est toujours le meneur qui débute la partie. Il commence par faire une description de la situation initiale, celle dans laquelle se trouvent les personnages. Ici, Camille décide de demander aux joueurs de poursuivre la description en introduisant leur personnage. Ainsi, chaque joueur sait qui est qui.

« Je suis Michao. J'ai le visage buriné par les éléments, on a du mal à me donner un âge. J'ai les yeux d'un bleu éclatant, et vous savez que j'ai une vision exceptionnelle. Je suis souvent en vigie et je suis redoutable avec un mousquet dans les mains.
- Je suis Jeanne, je suis le médecin de bord. Vous venez souvent vous confier à moi, je soigne les bobos de l'âme autant que ceux du corps. Je suis toute menue et fragile.
- Moi c'est La Grenouille, je suis canonnier, et euh... j'ai toujours envie de tout faire sauter.
- Très bien, reprend Marc. Il se met à chuchoter sur un ton de conspirateur. Bon, maintenant, comment on fait pour sortir de là ? »


Marc parle comme s'il était  Michao dans la situation décrite par le meneur. C'est ce qu'on appelle le roleplay. Il ne se contente pas de décrire les actions de son personnage, mais l'interprète avec un jeu d'acteur.

Pendant que les pirates déjà introduits parlent entre eux d'un plan d'action, Camille discute avec Zoé de ce que fait Zohra au même moment. En tant que meneur, dans ce genre de circonstances, tu peux parfaitement t'isoler avec un joueur pour préserver le suspense pour les autres.

« Zoé, tu sais que les trois naufragés ont été mis à fond de cale à cause de leur gueule de pirate, et tu penses bien qu'ils en sont. C'est la chance de ta vie de te trouver un nouvel équipage. Que fais-tu ? »

Que fais-tu ? (ou sa variante Que faites-vous ?) est la phrase préférée du meneur. Une fois que le meneur a narré le contexte, l'action des personnages-joueurs (les PJ) repose dans les mains des joueurs. Ce sont eux, et eux seuls, qui décident de ce que pense, ressent et tente de faire leur personnage. Le meneur, aidé des règles, va décider de la réussite ou non des actions des personnages, puis le meneur a la responsabilité de décrire les conséquences des actions.

« Je vais chercher en douce du rhum pour en offrir aux gardes en faction devant les prisonniers.
- Tu descends donc vers les réserves. Tu n'as pas le droit de te servir en rhum à volonté, comment fais-tu ?
- Je vais tenter d'y aller sans me faire repérer.
- Très bien, fais-moi un jet de Ninja warrior. »

 L'action que veut faire Zohra n'a rien d'évident. Il lui faut atteindre la cambuse sans se faire prendre, rien n'assure qu'elle puisse réussir. C'est pourquoi Camille décide de demander un jet de dés.

Zoé lance le dé et obtient 2. Elle a 3 en physique mais n'a pas la compétence Ninja warrior. Son total est donc de 5, avec un score aussi mauvais, Zohra manque clairement de discrétion !

« C'est raté, annonce Camille. L'intendant est arrivé juste au moment où tu venais d'entrer, et tu n'as pas réussi à te cacher assez vite. Il crie : "Eh ! Toi ! Là-bas !". Que fais-tu ?
- Super ! Te voilà ! Je te cherchais partout ! Le capitaine m'a envoyé, il veut te voir de toute urgence ! »
Zoé fait elle aussi du jeu d'acteur. 

« Pour ta belle tentative de bluff, il va falloir faire un jet de Faire gober des âneries. »

Cette fois, Zoé obtient 4 au dé. Comme elle a 4 en social et la compétence Faire gober des âneries, cela fait 9 en tout.

« C'est réussi ! L'intendant part rapidement et te laisse seule dans la cambuse.
- Je prends les bouteilles et je vais trinquer avec le garde de faction. »


Camille revient au groupe de joueurs dont les personnages sont prisonniers.
« Vous faites quelque chose ? »

Note qu'il est parfaitement possible de ne rien faire. L'inconvénient, quand on ne fait rien, c'est que bien souvent rien ne se passe et l'histoire n'est pas amusante. Pour relancer la partie, débrouille-toi pour qu'il arrive des choses - de préférence très désagréables pour les personnages de tes joueurs.

Julie demande : « Est-ce que nous sommes tous attachés à la même chaîne ou bien chacun à sa chaîne ? »

Il est heureusement possible de poser une question au meneur pour avoir des précisions sur l'environnement. Certains jeux laissent même du pouvoir aux joueurs pour décider de certains éléments.

Rien dans le scénario de Camille ne précise si les prisonniers sont attachés à la même chaîne. Camille doit donc improviser. Ce vilain mot qui fait peur aux meneurs débutant se résume pourtant généralement à cela : décider de certains détails en faisant appel à son bon sens et ce qui servira le mieux l'histoire.

Camille se souvient vaguement d'images d'esclaves dans les films, elle décide que c'est effectivement la même chaîne pour tous.

« Je fais semblant d'être malade, décrète Julie. Ils seront bien obligés de défaire la chaîne pour m'emmener au médecin.
- J'appelle le garde en criant que Jeanne est malade. » décide Luc

Tu as probablement noté que Julie et Luc n'osent pas interpréter directement leur personnage. Ce n'est pas grave. Il faut plus de temps à certaines personnes qu'à d'autres pour être à l'aise dans le jeu d'acteur. Pour les aider, montre l'exemple en interprétant toi-même les protagonistes intervenant dans la partie, et adresse-toi directement à ces joueurs comme le ferait ton personnage.

« Tout de suite, il y a un homme qui entre. Décris ton personnage, Zoé.
- Vous voyez un marin hispanique, plutôt jeune, les cheveux coupés courts et le visage impeccablement rasé. Il vous fait signe de vous taire. »

Zohra étant déguisée en homme, il est logique que les autres PJ croient au premier abord qu'il s'agit d'un personnage masculin, c'est pourquoi Camille a décidé de ne pas révéler immédiatement que le personnage de Zoé est une femme. Zoé a décidé d'entrer dans le jeu, en distillant tout de même quelques indices lors de la description de son personnage.

Zoé change de ton pour interpréter son personnage :
« Je m'appelle Esteban, je suis un ami. Je viens vous aider à vous évader.
- Pourquoi tu ferais ça ? demande Michao.
- J'étais pirate avant, et j'ai envie de retrouver ma liberté, alors je pars avec vous.
- Qu'est-ce qu'on y gagne ? demande La Grenouille. On peut aussi te dénoncer, comme ça on sera libérés.
- Je sais où se trouve le trésor de Mendoza. Si vous venez avec moi, on récupère le trésor et on se le partage. Si je meurs, vous ne saurez jamais où il se trouve. »

Il existe certaines compétences qui peuvent permettre d'influencer un autre. Par exemple, face à des personnages non joueurs, Zoé aurait pu faire un test de Bling bling pour les convaincre. Évite d'utiliser ce type de compétence entre PJ. C'est à chaque joueur de décider de ce que pense, ressent et tente de faire son personnage.

Tous les pirates prisonniers acceptent.

« Esteban, tu as la clé de leur chaîne, précise Camille. Elle était sur le garde en faction.
- Super. Je dois faire un jet pour les libérer ?
- Ce n'est pas la peine. »

Il ne faut faire des tests de compétences (faire lancer les dés) que si l'action tentée a un résultat incertain. Une action très facile est automatiquement réussie, une action impossible selon les lois de l'univers de jeu est automatiquement ratée.

« Vous êtes maintenant sortis dans le couloir. Sur votre gauche, un garde ronfle, affalé par terre, une bouteille de rhum dans la main. Vous savez qu'en longeant le couloir, vous allez pouvoir soit monter vers le pont supérieur, soit aller à la sainte-barbe où sont entreposées les armes et la poudre. À tout moment, vous risquez de vous faire repérer. Que faites-vous ? »


Laissons là notre bande de joueurs. J'espère que cet article t'a permis de mieux comprendre comment, concrètement, se déroule une séance de jeu de rôle. Le prochain s'attaquera à un gros morceau (du moins pour beaucoup de jeux de rôle) : les scènes de combat.

Yoda

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2 commentaires:

  1. Ne pas faire un jet de dé trop facile c'est bien, ça fludifie le jeu.
    Mais le jet peut apporter une certaine tention. Le joueur peut ne pas connaître la difficulté et croire à un échec possible.

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    1. J'ai voulu faire simple, mais il est vrai qu'on peut parfaitement demander des jets inutiles. Par exemple, quand un personnage est sur ses gardes, je n'hésite pas à demander un jet de "vigilance" même s'il n'y a rien à voir. En cas d'échec, le joueur va penser que son personnage a raté quelque chose et ressentir de la tension. De plus, si je ne demandais un jet que quand il y a quelque chose à voir, le joueur saurait indépendamment de son jet qu'il y a quelque chose à voir.
      Il est plus rare de demander un jet quand il est impossible de réussir, je ne le fais que si le personnage n'a aucune raison de penser que c'est impossible et que je préfère que le joueur le découvre plus tard. Cependant, c'est très frustrant pour le joueur de rencontrer un échec s'il réussit un jet exceptionnel, alors en général je lui offre une réussite partielle.
      Pour prendre un exemple : un personnage tente d'identifier une plante issue d'un autre plan. Je ne veux pas révéler tout de suite que la plante n'est pas de son monde, alors je lui demande de faire le jet. S'il fait un score moyen, il ne reconnaît pas la plante. S'il fait un très bon score, il ne reconnaît pas plus la plante (c'est impossible), mais il a conscience de n'avoir jamais vu ni entendu parler de cette plante, qu'elle est complètement exotique et ne ressemble à rien qu'il connaît.

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